samedi 15 février 2014

Le château blanc, Orhan Pamuk


Ma note: 7/10

Voici la quatrième de couverture: Le narrateur est un Italien de vingt ans, féru d'astronomie et de mathématiques. Capturé par des marins turcs et jeté dans la prison d'Istanbul, il se dit médecin, et est offert comme esclave à un hodja, un savant. Le maître oriental et l'esclave occidental se ressemblent de manière effrayante, éprouvent une méfiance immédiate l'un pour l'autre. Mais ils ne se séparent pas, vivent ensemble, travaillent ensemble, quotidiennement, d'abord sur la pyrotechnie, ensuite sur une horloge, enfin sur une redoutable machine de guerre pour Mehmet IV, dit le Chasseur, sultan de 1648 à 1687. Ensemble encore, ils contribuent à l'éradication d'une épidémie de peste. Tantôt dominant, tantôt dominé, des années durant, chacun raconte sa vie à l'autre. Puis les deux doubles doivent s'engager, avec leur machine de guerre, dans la désastreuse campagne polonaise. Mise à l'essai sur un château blanc, la machine ne fonctionne pas. Craignant pour sa vie, le Maître usurpe l'identité, la personnalité et le passé du narrateur. Celui-ci reste à Istanbul, devient le Maître. Des années plus tard, il entend parler de l'Autre, comme d'un ancien esclave capturé par des marins turcs, et qui s'est évadé...

"Le château blanc" fait partie des premiers romans de Pamuk, et il se situe avant ses grands chefs-d'oeuvre comme "Mon nom est rouge", "Neige" et "Le musée de l'innocence". Il est cependant le premier traduit à l'international et jouit d'un rayonnement mondial. Une introduction, qui nous place le contexte de la découverte du manuscrit, sert de prélude au roman, parce qu'elle nous dit que ce texte a été découvert en 1982 dans les archives de Guebzé. Le narrateur de cette introduction, Farouk Parvinoglou, le vole et essaie de le publier sans succès, parce que les personnages de cette histoire, qui elle, a toutes les apparences d'un fait historique, ne sont pas assez "illustres". Et il finit par ces mots : "Retrouver des liens entre toutes choses, c'est, je crois bien, la maladie de nos jours. Et c'est parce que je suis moi-même atteint de cette maladie que je publie cette histoire". Quant au récit en tant que tel, c'est une autre variation sur le thème du double, où les deux personnages principaux prennent la personnalité de l'autre et deviennent une seule et même personne. À l'origine, les deux personnages se confondent l'un dans l'autre, la frontière entre les deux protagonistes s'amincit. Le maître et l'esclave sont tous les deux très intelligents, ils sont érudits et l'on constate que leur érudition des siècles passés est introuvable de nos jours. La relation maître-élève devient par la force des choses élève-maître, ils s'influencent l'un et l'autre, et les deux sont dotés d'un égal savoir. Le début du roman montre un esclave qui se glisse facilement dans la peau d'un médecin, et ainsi, il nous prépare à le voir devenir l'Autre.

Comme je le disais, ce roman est antérieur à ses chefs-d'oeuvre et ainsi, son écriture est moins raffinée, moins poétique, plus concise. Le roman ne fait que 240 pages alors que ses romans subséquents sont d'énormes bouquins. Les thèmes sont davantage puérils, et en fait, ce roman n'a pas grand-chose à voir avec les romans cités plus haut. Ici, c'est du Paulo Coelho de qualité, avec un talent de prosateur, du génie. Je dirais que le début rappelle Coelho, le milieu rappelle Paul Auster alors que la fin est proche de la trilogie romanesque de Samuel Beckett. Et pour le thème du double, il s'est inspiré de Dostoïevski et de son "Double" comme plusieurs autres écrivains après lui. L'influence de Borges n'est pas loin non plus. Le fantastique "réel" de Borges, le thème du double, le mystère, la grande imagination, l'érudition. L'introduction dans laquelle un manuscrit est découvert, c'est exactement le genre de nouvelles que Borges écrit. La relation maître-élève aussi. On croirait par moments lire une nouvelle de Borges traitée sur plus de 200 pages. Dans une chronique précédente, sur "Neige", je disais qu'il était un roman dans un genre réalisme-romantique alors que pour "Le château blanc" c'est tout le contraire. On est dans le merveilleux, l'imaginaire, l'exploration, la découverte, la science avec des allusions à Newton et Léonard de Vinci, le tout accompagné d'une forte présence de l'histoire de la Turquie. Le roman démontre bien le fait que les "anciens" scientifiques ne se spécialisaient pas dans une seule branche, mais possédaient un savoir général. Newton a même écrit quantité de pages sur l'alchimie, une pseudo-science. De plus, le roman nous fait pénétrer dans la conscience d'un homme qui rencontre son double, et cela dégage toujours une certaine étrangeté qui nous renvoie à la théorie psychanalytique.

Pamuk se dit musulman mais sans avoir de connexion individuelle et directe avec Dieu, et ainsi, on peut donc le définir comme athée. Et cela est très présent dans ses romans. De plus, il s'oppose beaucoup à l'intégrisme. Cela paraît que Pamuk n'est pas un grand croyant, comme ici, où le narrateur dit, en parlant du Maître : "Tout heureux de constater la rapidité de mes progrès, il m'assurait que je pourrais très bientôt me convertir à l'Islam". Le narrateur dit cela d'une façon désinvolte, passant rapidement. Plus tard, le narrateur ne veut même pas se convertir à l'Islam. Pour Pamuk, sans vouloir parler pour lui, l'Islam semble être davantage une culture plutôt qu'une religion. Mais il reste très respectueux de la religion. En terminant, je dois dire que c'est le roman le plus faible de Pamuk que j'aie lu, et je me demandais sans cesse la signification de tous ces mélanges de genres. Il est difficile d'écrire un roman avec autant de genres, de thèmes, de références comme : le roman historique et scientifique, le thème du double, la religion, le pouvoir, et des références comme par exemple, la gravitation de Newton, les inventions de Léonard de Vinci. La fin du livre est éclairante, mais il est peut-être trop tard pour comprendre quoi que ce soit.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire