jeudi 8 mai 2014

L'évangile selon Jésus-Christ, José Saramago


Ma note: 9/10

Voici la quatrième de couverture: Quelques jours après la naissance de Jésus, les enfants meurent par dizaines à Bethléem. Joseph, lui, a sauvé son fils, laissant accomplir le terrible crime de victimes innocentes. Ainsi débute la vie du prophète, dans la faute et la culpabilité du père, dans la cruauté d’un Dieu aux volontés absolues qui a fait d’un jeune garçon ordinaire l’instrument de sa domination sur le monde.

Je parle souvent de mon idole Harold Bloom sur le blog (entre autres pour que vous lisiez ses deux livres extraordinaires mais non traduits en français que sont "The Western Canon" et "Genius"), et j'en parle encore plus quand je critique José Saramago parce que ce dernier était considéré par Bloom comme le dernier géant de la littérature, une opinion que je partage de plus en plus, depuis que j'ai lu le meilleur de Saramago. Et ce meilleur était "L'année de la mort de Ricardo Reis" de même que "Manuel de peinture et de calligraphie", "L'autre comme moi", "L'histoire du siège de Lisbonne", "Tous les noms", "Les intermittences de la mort" et son plus connu "L'aveuglement", porté au cinéma dans les dernières années. Bien que Bloom ait "L'histoire du siège de Lisbonne" comme préféré (rappelons que Bloom est capable de lire plusieurs livres dans une seule journée ,mais c'est une autre histoire...), il ne cesse de répéter que le chef-d'oeuvre ultime de Saramago est "L'évangile selon Jésus-Christ" (alors que pour ma part je dirais plutôt "L'année de la mort de Ricardo Reis").

Et cette satire de l'histoire de la chrétienté, revisitée par Saramago, commence avec un étrange avertissement de l'auteur (même si l'on est habitué à ce genre de forme lorsqu'on a souvent lu Saramago) : il s'adresse directement aux lecteurs en l'avertissant que tout ce qui suivra tient de l'invention, de l'encre et du papier. En littérature on appelle cela de la métafiction et ici, cette entreprise prend une autre dimension avec la réécriture de la vie de Jésus, sujet sensible s'il en est un. Je me demandais même si Saramago avait voulu y aller en douceur étant donné la délicatesse de la chose ou bien si le narrateur est bel et bien Dieu comme dans l'expression "Le narrateur-dieu"...

Une des forces du roman est évidemment ses personnages principaux qui n'ont certes pas besoin de présentation. On peut dire qu'il y a trois parties dans le roman. L'histoire de Marie et Joseph est la première, celle de Jésus-enfant est la seconde et dans la dernière nous suivons Jésus un peu plus vieux. L'écrivain nous présente un Jésus qui a des frères et des sœurs, notamment Jacques. Il a une relation avec Marie-Madeleine, ce qui n'est pas sans rappeler un best-seller d'un pauvre style. Il nous présente en somme un Jésus naïf mais profondément humain, malgré sa vie hors du commun, où Dieu, son père, prend une grande place mais cela devient équivoque sous la plume de Saramago. Est-il réellement le fils de Dieu ? Une chose est sûre pour moi, c'est que l'histoire de Jésus est au service du style d'écriture de l'auteur et non l'inverse. Saramago l'écrivain, devient donc, avec sa plume resplendissante de fraîcheur et de puissance, plus fort que le seigneur lui-même. Saramago parvient à représenter d'une façon originale l'aspect fantastique du Nouveau Testament. Voyez comment il parle des anges, lorsque le fils de Dieu est crucifié : "Au-dessus de ces vulgarités de milice et de ville fortifiée plane quatre anges, deux représentés en pied, qui pleurent et protestent et se lamentent, à l'exception d'un seul, au profil grave, occupé à recueillir dans une coupe, jusqu'à la dernière goutte, le flot de sang qui jaillit du flanc droit du Crucifié. Dans ce lieu que l'on nomme Golgotha, nombreux sont ceux qui eurent le même destin fatal et nombreux seront ceux qui connaîtront une identique destinée, mais cet homme nu, cloué par les pieds et par les mains sur une croix, fils de Joseph et de Marie, portant le nom de Jésus, est le seul à qui l'avenir concèdera l'honneur de la majuscule initiale, les autres ne seront jamais que des crucifiés mineurs". Le texte de ce roman est le plus travaillé de Saramago, avec "L'année de la mort de Ricardo Reis", et il ne semble avoir fait aucune concession quant à son style, qui lui, est d'une beauté éclatante, encore plus que les évangiles eux-mêmes. Voici un exemple : "Le soleil tarde à paraître, dans tout le champ de l'espace céleste il n'y a pas le moindre signe, même délavé, des tons rougeoyants de l'aurore, pas même une subtile touche rosée ou de cerise pas mûre, rien, sinon, d'un horizon à l'autre, dans la mesure où les murs de la cour lui permettaient de voir sur toute l'étendue d'un immense plafond de nuages bas comme de petits écheveaux aplatis, tous pareils, une teinte violette unique qui, vibrant déjà et s'illuminant du côté où le soleil doit surgir, s'obscurcit progressivement jusqu'à se confondre avec ce qui là-bas subsiste encore de la nuit. De sa vie, jamais Joseph n'avait vu de ciel semblable, [...]".

Dans la même veine que "Caïn", "Le voyage de l'éléphant" et "Le roi manchot" qui sont tous des romans à caractère historique, bien que ce ne soit pas des romans historiques en tant que tels, "L'évangile selon Jésus-Christ" permet à Saramago de libérer encore une fois sa vision ironique de l'histoire. Le présent roman est supérieur aux trois autres selon moi, et on embarque facilement parce que nous connaissons son sujet de fond en comble même si nous ne sommes pas religieux-chrétiens-pratiquants. Saramago a véritablement commencé à écrire à 55 ans et en un aussi court laps de temps, il a réussi à écrire une œuvre magistrale, riche, complexe, vaste, diversifiée, pénétrante d'intelligence. Avec "L'évangile selon Jésus-Christ", il est parvenu à écrire un évangile davantage organique, naturel, matérialiste, réel, littéraire que les évangiles d'origine. On a toutes les raisons de penser que l'évangile de José Saramago est au minimum aussi vrai que les autres...

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