lundi 30 juin 2014

Autres rivages, Vladimir Nabokov


Ma note : 8/10

Voici la quatrième de couverture: Voici l'autobiographie de Vladimir Nabokov, dans l'édition révisée et augmentée parue aux États-Unis sous le titre Speak, Memory, an Autobiography revisited et comprenant la préface inédite de sa traduction russe. De toutes ses œuvres écrites en anglais, l'auteur n'a choisi de retraduire lui-même en russe que celles qui lui tenaient particulièrement à cœur : Lolita et Autres rivages. Livre nostalgique sur une Russie disparue, Autres rivages restitue avec une magie éblouissante l'enfance de l'auteur et son exil européen : «Comme le cosmos est petit (une poche de kangourou le contiendrait), comme il est dérisoire et piteux comparé à la conscience humaine, à un seul souvenir d'un individu et à son expression par des mots ! Peut-être suis-je attaché à l'excès à mes toutes premières impressions, mais après tout je leur dois de la reconnaissance. Elles m'ont montré le chemin d'un véritable Eden de sensations visuelles et tactiles.»

Vladimir Nabokov, l'un des plus grands romanciers du 20e siècle, est depuis quelque temps un écrivain que je vénère au plus haut point, après avoir découvert le stupéfiant "La défense Loujine" et l'avoir relu tout de suite après, pour en saisir davantage la poétique de la prose qui m'avait enchanté. Cette autobiographie qui a pour titre "Autres rivages" en a fait presque autant, et voyons maintenant de quoi il en retourne...

L'incipit du livre réussit à nous convaincre que cette autobiographie sera aussi magistrale que ses romans : "Le berceau balance au-dessus d'un abîme, et le sens commun nous apprend que notre existence n'est que la brève lumière d'une fente entre deux éternités de ténèbres. Bien que celles-ci soient absolument jumelles, l'homme, en règle générale, considère l'abîme prénatal avec plus de sérénité que celui vers lequel il s'avance (à raison d'environ quatre mille cinq cents battements de cœur par heure)." Il faut s'être essayé à l'écriture de la prose (de fiction ou biographique) pour savoir à quel point il est difficile de parvenir à trouver son style propre, et qui plus est, à trouver profondément en nous une sorte de magie de l'écriture, un don de Dieu, comme celui de Vladimir Nabokov. Le tout converge vers une puissance de la pensée que l'on peut capter si on lit, et surtout, si on relit profondément les génies comme Nabokov. Choisir ses lectures c'est surtout en laisser tomber, et savoir choisir les bons auteurs à lire est d'une extrême importance pour espérer comprendre, un jour, cette puissance de leur pensée. Cette autobiographie nous permet de plonger dans la formation de ce génie, surtout dans son enfance. "Autres rivages" retracent donc le parcours de Nabokov d'avant sa période "anglaise", donc de sa jeunesse. Nabokov a été élevé dans trois langues ce qui fait de lui un parfait trilingue. Il vient d'une famille d'aristocrates, mais il a dû fuir la Russie de la révolution de 1917. Nabokov avoue dans ce livre avoir eu des hallucinations dans sa vie, ce que, j'imagine, l'a peut-être aidé à devenir romancier. Plus tard, Nabokov a été enseignant et ses élèves se souviennent de lui entre autres pour sa haine de Freud. On la retrouve dans le livre : "[...] je rejette absolument le monde foncièrement médiéval, mesquin et commun, de Freud, avec sa recherche maniaque de symboles sexuels [...]". Comme plaisanterie il dit en entrevue que la seule chose qu'il donne à Freud c'est d'être un excellent écrivain de fiction...Nabokov nous donne des pistes pour savoir comment lire, et plus particulièrement, comment écrire une autobiographie. Il dit : "S'attacher à suivre des dessins thématiques de ce genre à travers sa propre existence, tel doit être, à mon avis, l'objet d'une autobiographie." Juste avant, il racontait la symbolique d'une allumette dans sa vie (et celle de son père) et la relation entre ces allumettes et la chute de sa famille, de ces années qui ont suivi la prise de pouvoir des bolcheviks. Ce tragique destin hantera la biographie, du début à la fin, même si l'action de ce livre se passe en grande partie avant cet événement crucial. Les grands romanciers russes du 20e siècle ont été persécutés d'une manière ou d'une autre par le pouvoir communiste, à commencer par Nabokov lui-même, et ensuite Soljenitsyne, et dans une moindre mesure Boulgakov.

De l'avis de plusieurs professeurs et spécialistes de littérature, Nabokov est un très grand romancier mais un bien piètre essayiste. Je craignais donc pour la qualité de cette œuvre parce qu'elle est très proche de l'essai, la construction de chaque chapitre est un petit essai sur la vie de l'écrivain. Par chance, mes craintes n'étaient pas fondées et j'ai finalement adoré cette lecture. Nous ne sommes pas en présence d'une biographie traditionnelle, d'un style médiocre comme les politiciens en écrivent (même si la plupart du temps ce ne sont pas eux qui l'écrivent). Elle se lit plutôt comme les meilleurs romans, elle est écrite avec subtilité et la prose nous éblouit, nous saisit. En parallèle de cette lecture, je lisais "Ada ou l'Ardeur" le roman pour lequel Nabokov voulait qu'on se rappelle de lui. Et ce fut un des meilleurs romans que j'aie lus dans ma vie, courrez vite le lire...

2 commentaires:

  1. J'ai énormément aimé cette autobiographie, au programme de l'agreg de Lettres Modernes. Comme toi je ne m'attendais pas à trouver une perle, mais c'est bien ce qu'est ce livre. En plus, j'y ai retrouvé des accents et des aspirations proustiennes qui m'ont énormément touchée. Je remercie le concours, puisque sans cela jamais je n'aurais ouvert cette boîte aux merveilles.

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  2. Boîte aux merveilles en effet, et comme je le disais dans ma chronique, je te conseille "Ada ou l'Ardeur", encore mieux que Proust je pense, ce qui est peu dire...

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