mercredi 9 juillet 2014

Patrimoine, Philip Roth


Ma note : 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: Ce récit, écrit à la première personne, raconte la lente maladie du père de l'auteur âgé de quatre-vingt-six ans, sa lutte obstinée pour vaincre la tumeur au cerveau qui finira par l'emporter. Dans ce combat contre le drame de la vieillesse, le fils guide et assiste le père jusqu'à s'identifier à lui. Patrimoine est une histoire vraie (comme le précise le sous-titre) dont Herman, le père, plus encore que le fils, est le barde. Une histoire cruelle et émouvante, que l'intégrité d'Herman, son refus de l'héroïque et de l'édifiant préservent pourtant de la complaisance et du sentimentalisme. Un récit qui proclame l'infinie complexité et la permanence de la vie, la nécessité de se souvenir, de ne rien oublier, car «être vivant, c'est être fait de mémoire. Si un homme n'est pas fait de mémoire, il n'est fait de rien». Une élégie d'horreur et de compassion, mais aussi d'amour.

Mes écrivains vivants préférés sont Elfriede Jelinek et Philip Roth. Alors que la Prix Nobel de littérature Jelinek a la sexualité et la violence comme thèmes principaux de l'ensemble de son œuvre, Philip Roth se permet d'écrire sur des sujets un peu plus légers, et vend donc davantage de romans, en ayant la sexualité et la littérature comme thèmes qu'il affectionne particulièrement, et presque tous ses romans placent en relation des personnages torturés par le sexe et la littérature. Le roman central à ces deux thèmes est "Professeur de désir". "Patrimoine" est différent même si l'auteur a déjà écrit sur ce sujet. Premièrement, il est un récit biographique qui est restreint dans le temps (il couvre globalement la fin de la vie du père de Philip Roth). Aussi, les deux thèmes préférés de l'auteur sont effacés derrière ce sujet qui n'y collait pas vraiment et le livre laisse donc la grande place à son père et la maladie qui l'assaille. Philip Roth sort un peu de son "moi", (mais pas tout à fait), ce "moi" qui devient une obsession dans ses autres livres. En fait, ses livres pourraient tous porter le titre d'un de ses romans : "Ma vie d'homme".

"Mon père qui, au seuil de sa quatre-vingt-sixième année, n'y voyait pratiquement plus de l'œil droit, mais par ailleurs jouissait d'une santé phénoménale pour un homme de son âge, fut alors frappé par ce que le médecin de Floride diagnostiqua, à tort, comme la maladie de Bell, une infection virale entraînant la paralysie, généralement temporaire, de l'un des côtés du visage." Après cette phrase sévère, on commence à reconnaître l'ironie de Roth : "À l'aéroport de West Palm, il s'était senti tellement en forme qu'il n'avait même pas pris la peine de recourir aux services d'un porteur (d'ailleurs, il aurait dû le gratifier d'un pourboire) [...]" Le père de Roth est un vrai pingre. Il a été directeur de compagnie d'assurance une bonne partie de sa vie. Et il est paralysé son père. Le grand-père avait déjà eu ce problème. Philip Roth lui-même aura un infarctus à 56 ans, et ce sera suivi d'un quintuple pontage coronarien, mais il se porte encore à merveille, aujourd'hui octogénaire. Sa mère est décédé d'un infarctus au début des années 80. Son père devient sourd de l'oreille droite. Lui qui avait déjà l'œil droit déficient. Il a de la difficulté à boire, à parler. Il a deux cataractes et ne voit presque plus. Les médecins finissent par découvrir le pire, ce qui cause tous ces maux : "Mon père avait une tumeur au cerveau, une «tumeur massive» [...] Harold fut catégorique : «De toute façon, ces tumeurs finissent par tuer»". À travers ces horreurs, on retrouve un peu de la grande culture littéraire de Philip Roth, ancien professeur de littérature à l'université : "Il me semble qu'en se recueillant sur une tombe, on a des pensées plus ou moins analogues aux pensées de tout le monde et qui, l'éloquence mise à part, ne diffèrent guère de celles de Hamlet perdu dans la contemplation du crâne de Yorick." Comme quoi, même lorsqu'il écrit dans une forme et sur un sujet éloignés de ses habitudes, il ne peut échapper à la littérature.

Malgré l'originalité de ce livre quand on le place dans l'œuvre de Philip Roth, il est quand même proche de son roman "Exit le fantôme", lequel avait son alter ego littéraire comme personnage principal au crépuscule de sa vie, vieux et malade, et qui avait eu une dernière pulsion de vie, de plaisir, et avait donc redécouvert ces plaisirs depuis longtemps disparus. Ici, l'histoire est plus sombre. Le père de l'écrivain est trop vieux et trop malade pour tout cela, et Roth se concentre ainsi sur ses symptômes, sa souffrance. Philip Roth se permet quand même de parler un peu de sa vie pendant le déroulement de la longue agonie, alors qu'il était en relation avec Claire Bloom, l'actrice britannique qui le condamna publiquement quelques années plus tard en le dépeignant comme un pauvre type.

Certains disent qu'un écrivain n'écrit réellement qu'un seul livre dans sa carrière. Et j'endosse totalement cela. L'important c'est qu'il soit bon. Je parlais d'Elfriede Jelinek au début de ma chronique parce qu'elle est, avec Philip Roth, une des seules écrivaines à rentrer dans cette catégorie de l'écrivain d'un seul écrit, mais d'un excellent et je pense que ces deux auteurs seront encore lus dans deux cents ans. Quant à Martin Amis, il disait que la littérature est une guerre contre les clichés. Je n'ai jamais lu Amis, et je ne suis pas certain que je vais le faire, mais je crois que Philip Roth, à travers son œuvre, a bien compris ce message. Même lorsqu'il décrit une histoire vraie, il va au-delà des lieux communs qu'on entend sur la maladie.

En terminant, j'ai trouvé ce livre exceptionnel, mais selon moi, on doit avoir lu l'ensemble de son œuvre avant de s'y attaquer. Je conseillerais de le lire en dernier comme je l'ai fait. Roth est un maître de la biographie (fictionnelle, romancée, etc.) et même s'il exploite ici un genre différent (celui du fait, du réel) on reconnaît sa maîtrise et sa précision du détail que les autres écrivains ne peuvent qu'admirer sans pouvoir l'atteindre. Il est déjà un classique !

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