mardi 25 août 2015

Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Peter Handke


Ma note: 7,5/10

Voici la présentation de l'éditeur: Le pharmacien de Taxham, faubourg de Salzbourg, raconte à l'écrivain-narrateur l'étrange voyage qui l'a mené à l'improviste, à l'aventure, des mois durant, depuis l'Autriche jusqu'en Andalousie. Parti solitaire et muet, il en est revenu éveillé et serein, après un parcours apparemment arbitraire qui fut en somme initiatique. Jamais le grand écrivain autrichien n'a sans doute mieux allié le romanesque à la poésie.

Peter Handke est un excellent styliste mais il n'a pas une grande imagination. La courte lettre pour un long adieu était un roman plutôt moyen mais il obéissait à ce constat. Un homme se promenait à travers les USA et rien de vraiment intéressant ne lui arrivait. Seul la plume de l'auteur rendait ce roman dans les limites de l'acceptable (contrairement à un roman très semblable, Open City de Teju Cole, qui souffrait de tous les défauts que l'on puisse imaginer en littérature). C'était la même chose (ou presque) pour L'angoisse du gardien de but, un roman quelque peu ennuyeux. Par contre, avec L'absence, la prose de Handke était à tel point sublime que l'on oubliait facilement le peu d'intérêt qu'offrait ce roman, et il transcendait même les règles du romanesque.

 Un petit avertissement introduit le roman, lui qui suit la règle que j'ai tracée dans mon introduction : « Ce récit a certes quelque chose à voir avec la localité de Taxham près de Salzbourg, mais peu ou rien avec quelque pharmacien que ce soit ni avec quelque autre habitant de cette localité. » Par cette mise en garde, Handke a peut-être voulu nous montrer que son roman en est un du territoire comme L'absence l'était à bien des égards. La présentation de l'éditeur met plutôt l'accent sur le côté humain et initiatique de la chose. Au final, ce sera un livre qui combinera ces deux genres. 

L'incipit penchait quant à lui vers le territoire, «l'espace» prenant le dessus sur «l'humain» : « Au temps où se déroule cette histoire, Taxham était presque oublié. La plupart des habitants de Salzbourg, la ville prose, n'auraient pas su dire où se trouvait cette localité. Pour beaucoup le nom déjà avait une consonance étrangère : Taxham ? Birmingham ? Nottingham ? De fait le premier club de football après la guerre s'était appelé «Taxham Forrest», pour être rebaptisé après avoir gravi les divisions au fil des années et s'appeler finalement «FC Salzbourg» (entre-temps il peut très bien avoir été débaptisé). Il n'était pas rare que les gens du centre-ville voient passer des bus avec l'insciption TAXHAM, ni plus pleins ni plus vides que les autres bus, mais il n'est guère de citadin qui s'y fût assis lui-même. » Le roman prend racine à Taxham et le narrateur se sert du pharmacien de la place pour raconter son histoire. Ainsi, il y a trois niveaux et trois points de vue dans le roman : celui du pharmacien, celui du narrateur et intrinsèquement, celui d'Handke (mais bien sûr, de ces trois niveaux, c'est celui du narrateur qui l'emporte toujours). Le pharmacien vient d'une famille de réfugiés : « C'était, de façon plus visible que partout ailleurs autour de Salzbourg, une colonie de réfugiés de la guerre, d'expulsés, d'émigrants. En tout cas, le pharmacien était l'un de ceux-là, membre d'une famille qui avait déjà exploité une usine de produits pharmaceutiques, à l'Est, du temps de la monarchie des Habsbourg, puis sous la République tchécoslovaque, puis sous l'occupation allemande. Pour le moment je ne voulais pas, pour ce qui allait être son histoire, en savoir davantage, cela lui fit dire : "C'est bien, laissons cela dans le vague !" »

 Ce que j'aime par-dessus dans le roman (d'une façon générale), c'est le début de l'action, avant le point de non-retour, où tout bascule. Connaître les débuts du héros. Et bien souvent, les écrivains portent une attention spéciale à leur prose dans ces moments. Il y a une fraîcheur. Ainsi, nous ne pouvons pas parler de Peter Handke sans citer des passages de sa poésie en prose, celle du début de son roman. (Ici nous apprenons que le pharmacien était plutôt routinier) : « Même le pharmacien avait sa maison en dehors de Taxham, près de l'un des villages d'agriculteurs, proche de la Saalach, la rivière qui fait la frontière, peu avant qu'elle ne se jette dans la Salzach, à la «pointe» là-bas naturelle. Pourtant, il tenait à son lieu de travail. Sa vie se déroulait dans le triangle entre la maison prés de la digue, la pharmacie et l'aéroport, où lorsque nous nous rencontrâmes - son histoire se déroule à une époque tout à fait différente - il dînait régulièrement tantôt avec sa femme, tantôt avec sa maîtresse. La pharmacie fondée par son frère beaucoup plus âgé fut la première entreprise commerciale de l'après-guerre dans le nouveau lotissement de fortune, ou plutôt la première installation officielle accessible à tout le monde, avant l'école et les deux églises avant tout autre magasin. »

 Et voici une autre citation qui démontre la puissance du style de cet écrivain : « Coups de vent, odeur de pluie, tombée ailleurs. Et maintenant, à la première lueur, ce jour sombre et limpide au vaste horizon, comme il l'aimait, il souhaitait qu'il restât tel jusqu'au soir. (L'éternel soleil d'été et le bleu avaient déjà quelque chose des glaces éternelles.) Par une telle journée obscure les plus petites choses se mettaient à vibrer au passage comme au démarrage avant le départ. Le calme tout alentour, plus d'images trompeuses dues au soleil. Une sorte de facilité de passage grâce à cette clarté obscure, une insouciance aussi : au soleil grêle la noirceur de la nuit de tout à l'heure aurait tenu beaucoup plus longtemps. » 

 J'ai remarqué que Par une nuit obscure est assez éloigné du cadre normal du roman, en ce sens qu'un événement, une action, n'amène pas vraiment une autre action logique. Il y a un peu de confusion dans ce roman, voulu ou non, et le fait de jouer avec le narrateur n'amène pas quelque chose de plus. Cela avait été fait cent fois avant la publication de ce roman. Jorge Luis Borges est le meilleur écrivain pour cela. Par une nuit obscure est plus intéressant que L'angoisse du gardien de but, Une courte lettre pour un long adieu et Le colporteur, mais il est beaucoup moins réussi que L'absence

 Pour terminer, voici une citation de Nabokov, qui sera suivi d'un passage de Par une nuit obscure, qui démontre ce que Handke devrait faire pour réussir à nous combler à chaque roman : se concentrer sur son style. En bref, Nabokov nous dit que le style c'est tout, le style c'est l'homme :
« Le style n'est pas un outil, ce n'est pas une méthode, ce n'est pas seulement un choix de mots. Étant beaucoup plus que tout cela, le style constitue une composante intrinsèque ou une caractéristique de la personnalité de l'auteur. Et lorsque nous disons style, nous voulons parler de la nature particulière d'un artiste individuel, et de la façon dont cette nature s'exprime dans sa manifestation artistique. Il est essentiel de rappeler que, bien que chaque être vivant puisse avoir son style, c'est le style particulier à tel ou tel écrivain de génie pris individuellement qui seul mérite discussion. Et ce génie ne peut s'exprimer dans le style littéraire d'un écrivain s'il n'est présent dans son âme. Un mode d'expression peut être perfectionné par un auteur. Il est assez fréquent que le style d'un auteur, au long de sa carrière littéraire, se fasse de plus en plus précis, de plus en plus marquant, comme c'est d'ailleurs le cas pour Jane Austen. Mais un écrivain dépourvu de talent ne peut développer de style littéraire qui vaille ; au mieux, ce sera un mécanisme artificiel froidement assemblé et dépourvu de la divine étincelle. »
Revenons au roman de Handke : « Le soleil se leva. Dans le jardin, après la nuit chaude et sèche, pas une goutte de rosée. En revanche, un scintillement dans le pommier : une goutte de résine exsudée d'une tige que traversaient les premiers rayons ; la plus minuscule des lampes. Les hirondelles haut dans le ciel, encore d'un noir profond, comme à l'aube. Là seulement où l'une d'entre elles, en virant, mettait les ailes verticales, un bref éclat de soleil sur le plumage ; c'était comme si l'oiseau jouait avec la lumière du matin. »

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